Ratification par la France de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires: Fin de non-recevoir !
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Par lettre datée du 28 février 2023, la fédération Alsace bilingue-Verband zweisprachiges Elsass avait proposé au Président de la République de remettre la ratification par la France de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires à l’ordre du jour.
Le 7 juin 2023, le Chef du Cabinet du Président nous indiquait avoir relayé notre demande à Madame Laurence Boone, Secrétaire d’État chargée de l’Europe. La réponse de Madame la Secrétaire d’État nous est parvenue par lettre datée du 29 août 2023.
Dans son courrier, elle rappelle que le Conseil Constitutionnel avait jugé « qu’en ratifiant la Charte des langues régionales ou minoritaires, la France méconnaîtrait les principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi, d’unicité du peuple français et d’usage officiel de la langue ». Rien que ça ! En filigrane, elle nous fait comprendre que le Gouvernement n’engagera aucune procédure en faveur de la ratification[1].
Elle nous renvoie au couplet traditionnel, à savoir que tout ceci n’empêche pas la France de veiller « à la promotion et à l’enseignement des langues régionales[2] qui constituent le patrimoine culturel de notre pays[3] ». Nous n’ignorons évidemment pas que des choses soient entreprises en la matière, d’autant plus que les membres de la fédération Alsace bilingue en effectuent un grand nombre.
Est-ce suffisant ? Bien sûr que non, s’il s’agit ne serait-ce que d’assurer la survie de la langue régionale d’Alsace. Relevons que pour ce qui concerne la situation alsacienne que la familiarisation au dialecte des enfants en bas âge est dorénavant de l’ordre de 1 %. Aussi, ne peut-on pas dire que la politique linguistique poursuivie par l’État soit une réussite[4]. La seule question qui vaille au sujet de ce qui est entrepris : gagne-t-on en locuteurs ou la langue régionale poursuit-elle son déclin.
Pour que la langue régionale à savoir « la langue allemande dans sa forme standard et ses variantes dialectales »[5] puisse survivre dans la société alsacienne, elle doit pouvoir y bénéficier d’une existence sociale, c’est-à-dire d’une existence scolaire, culturelle, administrative, économique, médiatique et cultuelle. Il se parle quelque 6000 langues dans le monde. Il en disparaît près d’une centaine chaque année. Disparaissent celles qui ne bénéficient d’une existence sociale pleine et entière.
Il conviendrait déjà d’assurer l’existence sociale énoncée ci-dessus à hauteur de 30 %. Ce taux est à la fois le minimum nécessaire pour assurer une survie à court terme et la base utile pour un plein développement futur. En dessous de ce minimum, la situation ne pourra être redressée. On en est loin, très loin ! Aussi convenons-en, les conditions ne sont toujours pas réunies en France pour assurer vie et développement des langues régionales de France !
Que le français soit la langue commune de tous les Français est chose communément admise, mais en vertu de quelle idéologie devrait-elle être la seule à jouir de tous les droits linguistiques ? Elle apparait notamment dans la doctrine énoncée par le Conseil Constitutionnel.
Flashback. C’est le 25 juin 1992 que le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe adoptait la Charte. À la même date, par loi constitutionnelle, un alinéa stipulant que « La langue de la République est le français » était inséré à l’article 2 de la Constitution française. Est-ce une coïncidence ? Bien sûr que non[6] ! Cependant, le 7 mai 1999, le gouvernement Jospin avait signé la Charte. Mais le 20 mai, le président Chirac[7] saisissait le Conseil constitutionnel afin que soit jugée la conformité de la Charte avec la Constitution française.
À bien des égards haut lieu du jacobinisme[8], le Conseil rendit sa sentence le 16 juin 1999 qui tomba comme un couperet en particulier pour les locuteurs des langues concernées. C’était « niet » ! La ratification est impossible. Il a au final rejoint ou reproduit une philosophie politique déjà ancienne résumée d’une manière absolue et définitive par Régis Debray : « La France connaît, mais ne reconnaît pas »[9].
Mais, on pourrait remonter à l’édit de Villers-Cotterêts, à Barère (de Vieuzac), à l’abbé Grégoire, aux Hussards noirs de la République qui notamment punissaient leurs élèves pour avoir parlé leur langue première, etc.
Ce faisant, la France fait figure de parent pauvre parmi les grandes démocraties européennes s’agissant des droits linguistiques accordés aux locuteurs de langues régionales ou minoritaires. Tous les pays environnant la France ont signé, ratifié et mis en œuvre la Charte et ne se sont pas effondrés pour autant. Il existe donc un « Sonderweg[10] » français.
Défendre et promouvoir les langues régionales ou minoritaires n’implique pas de se soustraire aux principes universels, bien au contraire, c’est considérer que ceux-ci ne prennent véritablement leur sens que si ces langues ne font pas l’objet de discriminations. Si elles sont insuffisamment reconnues et valorisées, c’est sans doute que le principe d’union dans la diversité est insuffisamment inscrit dans l’habitus français.
Ce dernier devient une réalité à la faveur d’un recentrage sur l’essentiel, à savoir la primauté des principes universels de droit, de justice, de liberté et de solidarité. Une fois fondée sur l’attachement à ces principes et sur l’allégeance à l’État de droit, l’union peut, non seulement s’ouvrir à la diversité, mais aussi s’enrichir des différences.
Les identités collectives sont des constructions. Celle conduite par l’État français l’est évidemment dans le but de diffuser un récit et de développer un sentiment national, des valeurs, des normes et des représentations communes. Cependant, dans cette construction, c’est la définition objective de l’identité nationale, celle fondée sur l’unicité de la langue, de la culture, de l’histoire qui l’a largement emporté sur celle subjective fondée, elle, sur le sentiment d’appartenance et la volonté d’être et d’agir ensemble. La nation française est-elle à concevoir comme une ethnie[11] ? Cela n’a-t-il pas été l’obsession des jacobins ? Effacer les différences au profit de l’uniformité.
L’idéologie jacobine qui a prévalu au monolinguisme d’État reste très prégnante et constitue un courant de pensée dominant. Elle repose pour beaucoup sur l’idée que c’est la langue qui fait la nation et qu’elle en constitue le ciment principal. Quelle est la part de nationalisme conscient ou inconscient, en l’occurrence de rejet de l’altérité dans cela ? Le jacobin est-il un nationaliste qui s’ignore ? Notons en passant que les jacobins tenants de l’égalitarisme ont l’égalité sélective. Pour eux toutes les langues ne se valent pas !
Ceux qui en France ont suivi le général et ceux qui s’étaient rangés derrière le maréchal parlaient la même langue et pourtant n’étaient unis en rien. Et la nation était alors bien déchirée. Poursuivons. Qu’est-ce qui distingue un Suisse francophone d’un Français francophone. Qu’est-ce qui fait de l’un un Suisse et de l’autre un Français. Ce n’est pas la langue. En tout cas pas que la langue. Ce qui fait de l’un un Suisse et de l’autre un Français, c’est la culture et notamment la culture politique transmise et partagée au travers de la socialisation et de sa stratégie identitaire. Autrement dit, ce que l’on met dans la tête des gens à la faveur d’une sorte de formatage.
La France est ainsi faite qu’elle appelle au sacrifice des langues dites régionales sur l’autel de l’union dans l’uniformité. Soit on s’en offusque et on demande une révision des concepts qui sont à l’origine de cet état de fait, soit on fait avec. Mais faire avec suffira juste à agir à la marge et sans doute pas même à maintenir l’existant en connaissance et en pratique des langues régionales de France. Requiescat in pace !
Pierre Klein, président
Pour approfondir le sujet : LIEN
[1] Et que donc le Gouvernement n’engagera pas, par référendum ou par loi constitutionnelle, la nécessaire réforme de la Constitution.
[2] Actuellement écrit-elle 121 000 élèves suivent un enseignement en langue régionale, dont 14 201 en immersion. Rappelons que la France scolarise quelque 12 000 000 d’élèves et que, s’agissant déjà du néerlandais (standard et flamand dialectal), du breton, du basque, du corse, du catalan, de l’occitan, de l’arpitan et de l’allemand (standard ou dialectal), quelque 40 départements sont concernés par les langues régionales dans l’hexagone.
[3] Elle indique que la mise en valeur du patrimoine culturel et linguistique est inscrite au cahier des charges des sociétés relevant de Radio France et de France Télévisions. Que chacun donc comptabilise le nombre d’heures de présence de la langue régionale d’Alsace (allemand standard et dialectes alémaniques et franciques) sur les médias publics, un quart d’heure en moyenne sur 24 heures ? Et encore…
[4] La transmission par les parents est défaillante depuis longtemps. Les parents ne transmettent généralement pas les langues qu’ils ne maîtrisent pas eux-mêmes vraiment ou qui ne servent à rien ou à pas grand-chose. Et l’école et les médias publics ne prennent pas le relais. Loin de là !
[5] Nous reprenons la définition de la langue régionale telle quelle figure dans la loi portant création de la CeA, d’autant plus que c’est là la première fois que la définition est inscrite dans une loi, alors que c’était déjà chose faite pour d’autres langues régionales de France.
[6] Il fallait inscrire dans le marbre que la France ne pourrait pas ratifier la Charte.
[7] Avait-il une arrière-pensée ?
[8] Si le jacobinisme fait référence à un mouvement politique particulier de la Révolution, il est caractérisé depuis notamment la Troisième République par une culture politique dont l’objectif est de ramener le tout à l’un, en l’occurrence, la nation à l’unicité de l’État, la société civile à l’unicité du peuple et l’action publique à l’unicité de la loi. Il s’oppose en cela aux démocratiques principes d’union dans la diversité et du postnationalisme. Républicanisme versus « démocratisme ».
[9] In La République expliquée à ma fille, Seuil, 1998.
[10] Une exception française.
[11] Une ethnie est un ensemble de personnes qui partagent la même culture, la même langue, les mêmes traditions, les mêmes coutumes, qui se transmettent de génération en génération